Mon expérience du Vipassana

Quelque part dans le creux des montagnes de Worcester, ma vie a changé. C’est une ligne que j’ai répétée dans ma tête pendant plusieurs jours. J’attendais le moment où je serais autorisée à reprendre mon téléphone, mon ordinateur, ma voix, ma vie. Car oui, pendant 10 jours, je n’ai eu droit à rien de tout cela. 

Du 1er Mai au 11 Mai 2024, j’ai vécu sans téléphone, sans ordinateur, sans internet, sans écrire, sans parler, coupée du monde entier et de sa civilisation. C’était l’expérience la plus compliquée qu’il m’ait été donné de vivre mais aussi la plus transformative. 

J’ai peur de sonner dramatique. J’ai peur d’en dire trop alors que c’est peut-être encore trop tôt. Mais comme pour certaines choses dans la vie, comme le choix d’un métier, la faim, ou l’amour, quand on sait, on sait. 

C’est la faute à Moulaye Tabouré. Il m’en a parlé vite fait, sans trop en dire. Il m’en a dit juste assez pour que mon intérêt soit piqué. Paraît que Jack Dorsey, le fondateur de Twitter l’a fait aussi. Aussitôt rangée dans un coin de ma tête, il m’aura fallu 2 ans pour vivre aussi cette expérience. 

Jusqu’à la veille de mon départ pour l’Afrique du Sud, j’étais prête à tout lâcher. À leur dire que j’abandonnais ma place, que j’avais trop de responsabilités, une entreprise à gérer, des contrats à honorer, et puis qui est assez fou pour quitter sa vie pendant 10 jours comme si de rien de n’était ? 

Il se trouve que je fais partie de ces fous et folles, plus d’une quarantaine de personnes venues de tous horizons pour apprendre le Vipassana, une technique de meditation vieille de plus de 25 siècles. Moi qui n’avait jamais réussi à méditer ne serait-ce qu’une minute, je me suis retrouvée à passer 8 heures par jour à ne faire que ça. 

Tout commence par ce site qui vous le verrez offre tout ce qu’il y à savoir sans pour dire autant à quoi cela ressemble, une expérience du type. Cet article a pour but de vous retracer ce que ça a été de la vivre. 

D’abord, il fallait choisir le meilleur moment dans l’agenda. Quand aurais-je le plus de temps pour me couper du monde ? La réponse à cette question est évidente : Jamais. Mais j’ai choisi Mai pour ses nombreux jours fériés, et le calme relatif que je pouvais aménager du côté de mes activités. Je m’y suis prise à l’avance. Depuis l’année dernière, j’ai minutieusement organisé cette expédition comme une opération de sauvetage où je devais essorer ma propre vie pour un peu de temps loin de tout. 

J’ai postulé une fois, été retenue mais j’ai abandonné à la dernière minute. La deuxième fois fut la bonne. Et là, il fallait tenir. 

Jusqu’à 30 minutes avant le démarrage de la retraite, j’étais encore sur mon ordinateur. À donner les dernières instructions, à m’assurer que le monde ne s’effondrerait pas parce que j’aurais pris du temps pour moi. Quand j’ai tendu mes affaires à la coordinatrice, je me suis sentie nue. Dépouillée. Qu’avais-je donc fait ? 

Le chemin a commencé là. 

J’ai obtenu mon premier ordinateur à 12 ans. Mon premier téléphone à l’âge de 15 ans. Et je fréquente internet depuis 17 ans. Ma détresse était indicible. J’étais curieuse de savoir si je tiendrais ces 10 jours, et horriblement anxieuse aussi. 

La bonne nouvelle c’est que je n’étais pas la seule à me sentir perdue. Nous étions une vingtaine de femmes de 20 à 80 ans. Chacune avec son histoire, ses questions et attentes. J’ai fait connaissance avec des Sud-Africaines, des Allemandes, des Russes, et j’en passe. Seule Béninoise dans le lot, j’étais l’espèce rare, enchantée d’en savoir plus sur tout ce monde avant que le gong ne résonne. 

Le fameux gong. 

Pendant une dizaine de jours, il a résonné. De 4h du matin à 9h du soir. Il résonne pour indiquer l’heure du réveil, du petit-déjeuner, l’heure de la première méditation et de la dernière. 

Typiquement, les journées démarraient très tôt avec 2h de méditation non guidée. Ensuite, vers 6h, nous devions toutes nous rendre dans le « Dinning Hall » espace réservé exclusivement aux femmes. À 8h, nous avions le premier « Group Sitting », une méditation d’une heure à laquelle nous étions tenus d’assister dans le « Meditation Hall ». 

Ensuite, une autre méditation de 2h pour pratiquer seul dans sa chambre ou dans la salle de méditation partagée avec les hommes. C’était d’ailleurs le seul moment où on les voyait. La salle était divisée en deux pour garder les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. À 11h, le gong résonnait à nouveau cette fois pour le déjeuner. Ensuite, c’était repos et interview avec l’enseignant pour ceux et celles qui avaient des questions. De nouveau à 13h, on pouvait méditer à notre convenance. À 14h 30, c’était reparti pour une autre méditation de groupe. Et la danse continuait jusqu’au soir. On n’avait pas de dîner. Juste un Tea Break avec du pain, des fruits, du café et du thé. 

Enfin, venait mon moment préféré juste après la dernière méditation de groupe de la journée, les Discourses. C’était l’instant Netflix où le Maître Goenka, rentrait dans les détails de la philosophie Vipassana. Merveilleux orateur, bien des fois hilarant, il avait de multiples histoires pour illustrer le pourquoi et le comment. Puis, c’était l’avant-dernier Gong, avec de nouvelles instructions et une brève méditation de 45 minutes. Et le dernier gong à 22h pour marquer la fin de la journée. 

Le domaine dans lequel nous étions faisait plusieurs hectares. Domaine est le juste mot parce que le centre était immense. Nous avions droit à une flore abondante. Des arbres, plantes et fleurs de diverses espèces parsèment l’espace rendant le séjour très agréable. Notre faune se limitait à un paon très curieux, des faisans, et à des oiseaux pas timides du tout. Entre midi et 2, je me retrouvais très souvent à flâner dans la végétation avec un bâton. Je ne saurais expliquer l’attrait que cela représentait pour moi. À la fin de la formation, j’avais une collection de 7 précieux bâtons, compagnons inanimés de mes jeux. Car oui, je m’inventais des jeux, j’écrivais sur le sol, je contemplais les fleurs et plantes. Je pensais, surtout. 

Durant ces 10 jours, j’ai pensé. J’ai atteint une clarté d’esprit que je n’avais plus jamais effleurée. Mais à quel prix. Chaque élève à ce cours est passé par un épisode ou un autre. Il y eut des maux de tête, des pleurs, des vomissements, des cauchemars, des abandons et souvent de l’insomnie. Une fois, j’ai vu l’une d’entre nous par terre, pleurant à chaudes larmes. Tout ce qui devait remonter à la surface l’a été pour le bien de tous. 

J’ai appris à méditer. 

Je n’ai jamais su le faire avant pour plusieurs raisons mais aussi parce qu’il y a trop de ressources sur la question, avec un mélange de plusieurs méthodes. Le Vipassana est une méthode claire, préservée par des générations entières de moines Boudhistes et popularisée dans le monde moderne par S.N Goenka. Quel pédagogue, ce monsieur. Guidés par sa voix, nous avons été menés étape par étape vers cette méthode. 

Les 3 premiers jours, nous avons appris à observer notre respiration naturelle. Il ne s’agissait pas d’exercices de respiration mais d’observation. J’ai découvert par exemple que mon corps pouvait respirer sans moi. Bah oui, c’est plutôt évident, me diriez-vous. Toutefois, le faire sans y penser est une chose. Le faire et y penser, voire même l’observer en est une autre. Cela exige un certain lâcher prise dont je ne me croyais pas capable jusque-là.

Moi qui craignait de me détendre de peur de faire exploser quelque chose, j’ai été surprise de constater les battements de mes narines entre les flux d’air. Je pensais mon corps comme un ensemble statique, dur et compact où ne bougeaient que quelques organes bien précis. Certains à mon commandement et d’autres en interne comme le cerveau et les poumons plus indépendants. E pur si muove! J’ai découvert que tout ce bel ensemble était en constante vibration. Aucune constante. Tout est changement. 

J’ai appris à supporter la douleur. 

À partir du 4ème jour, nous découvrons la véritable technique du Vipassana et avec elle vient une règle, l’Adhiṭṭhāna. Prendre la forte résolution de ne pas bouger pendant l’heure de la méditation de groupe. Et ce sans haïr la douleur et sans s’attacher aux autres sensations les plus plaisantes. Comment vous dire ? C’était horrible. 

Les premières fois, j’étais à deux doigts de supplier la coordinatrice pour avoir des anti-douleurs. On pouvait certes bouger quelque peu au cas où la douleur serait insupportable mais je voulais attendre l’objectif final. J’y suis arrivée, un peu plus chaque jour. Vers la fin, et jusqu’à aujourd’hui, je peux garder la même position durant une heure de méditation. Loin de moi l’idée de m’en vanter, ce n’est pas nécessaire, mais cela illustre l’évolution que j’ai pu connaître en quelques jours.

C’est une compétence très utile que de savoir observer et se distancer de sa douleur. Qu’elle soit mentale ou physique, cette tolérance est un super-pouvoir que je compte bien mettre à profit, à la Gym, au travail ou dans la vie de tous les jours. 

Je me connais beaucoup mieux. 

Socrate serait fier de moi. À force d’observer mon esprit, je sais désormais où il va. C’est un cheval sauvage, très réfractaire au dressage. Je sais où se situent mes émotions qui au final sont aussi des sensations dans le corps. 

La maîtrise de l’esprit a toujours été un grand objectif de ma vie. Je ne prétends pas l’avoir atteint. Cependant, j’ai un meilleur contrôle de mes réactions. Moi qui réagissait parfois au quart le tour, j’ai gagné quelques millisecondes de recul. Et qu’est-ce que c’est précieux. Encore plus pour ceux qui comme moi sont très souvent sur les réseaux sociaux à consommer des publications dont l’unique but est de générer chez nous des émotions et des réactions. Les injonctions sont constantes : Fâche-toi. Rigole. Aime. Commente. Indigne-toi. Publie. C’est incessant. Pire encore, mon travail exige que je sache moi aussi manufacturer ces émotions pour réussir. Un dilemme assez troublant, j’avoue. 

Une fois vers le 6ème jour, après la pause déjeuner, j’ai expérimenté le silence mental. Presque 2 minutes sans aucune pensée dans mon esprit. C’était divin. J’avais l’habitude de dire que de nombreuses stations radio étaient allumées dans ma tête. Au fil des années, j’avais trouvé plusieurs méthodes pour les « Shut down », pour fuir en somme. Elles semblaient efficaces sur le moment, mais jamais sur le long terme. Elles me laissaient sans énergie, blasée et dépossédée de ma propre essence. Cette retraite m’a appris que je pouvais ignorer toutes ces stations radio, et mieux, elle m’a donné une technique sacrément puissante pour y arriver. Une méthode où je reste moi-même, où j’affronte la réalité telle qu’elle est. C’est d’ailleurs ce que signifie le mot « Vipassana »

Je suis prête à tout affronter 

Mon retour à la civilisation a été brutal.

Brutal. J’ai eu beaucoup de mal à concentrer mon esprit lors de ma première méditation. Je sentais littéralement toutes les images de la journée passer dans ma tête. Mes yeux bougeaient à tout instant, un peu comme un ordinateur qui traite beaucoup d’informations. Et c’était plutôt normal. Pendant 10 jours, j’avais été épargnée de tout ça, dans un environnement sans distractions, et sans évènement où rien ne se passe. Non, je ne me suis pas ennuyée. On travaillait toute la journée, car contrairement à ce qu’on pourrait penser, la méditation est un véritable exercice.

La seconde méditation a été plus facile, et je dirais qu’aujourd’hui plus que jamais je comprends l’importance d’insérer définitivement cet exercice dans mon quotidien. Chaque matin, chaque soir, et à tout instant prendre le temps d’être entièrement présente.

Brutal. Car depuis mon retour, je dois éteindre de multiples feux. Un client insatisfait, des demandes pressantes d’inconnus sur des choses inutiles, les frustrations quotidiennes, la violence ordinaire, la maladie de proches, la vie de tous les jours, tout simplement. Étrangement, je me sens plus outillée pour les affronter. Je ne panique pas, je ne m’inquiète pas outre mesure, et quand c’est le cas, je me reprends bien assez vite. Car je sais que tout change, que tout passe. 

Anicca.

C’est la loi de l’impermanence, un mot que j’ai entendu des centaines de fois durant cette retraite. Un mot qui symbolise la philosophie du Vipassana. Parce que tout change, les douleurs comme les joies, il n’y a nul besoin de s’inquiéter ou de s’apitoyer sur son sort. Cette perspective apporte définitivement plus de sérénité. Cela me fait penser à cet adage en anglais « No hope, no despair » et à plusieurs autres adages comme « Après la pluie, c’est le beau temps. ». Tout change. Tout passe. Même moi. 

J’ai remarqué que cela m’aidait à être plus et mieux concentrée dans mon travail. Je ressens moins de peur à l’idée de la mort, qui avait pris une très grande place dans ma tête depuis la perte de mon père. Je crois même avoir fait mon deuil au final. Avant de partir, j’avais encore beaucoup de colère de l’avoir perdu au moment même où j’avais besoin de lui.

Je me sens beaucoup plus détachée de certaines choses, et c’est assez libérateur. Dans le même temps, malgré ce détachement, j’ai un plus grand optimisme. Je vis la réponse à cette question : Que feriez-vous si vous n’aviez pas peur ? 

La petite anecdote c’est qu’au retour de la retraite, j’ai escaladé ma première montagne, fait de la parapente, adressé la parole à des inconnus, et repris la plume publiquement en écrivant cet article de blog, ce qui ne m’était pas arrivé depuis plus de 6 ans. 

Le Vipassana a créé une heureuse fissure dans ma vie. Mon vœu est d’inspirer tous ceux que cet article atteindra à vivre comme moi, cette merveilleuse expérience. 

Soyez heureux.  

13 commentaires

La première fois que j’ai entendu parler du Vipassana, c’était dans une vidéo du Youtubeur Major Mouvement, un kinésithérapeute qui aborde quelques fois des questions profondément philosophiques. Et comme vous, il avait présenté ce type de méditation comme l’expérience à faire, notamment quand on n’a pas souvent pris le temps de vivre entièrement pour soi…

Je suis content pour vous. Heureux que vous soyez revenue avec de meilleures armes et une fibre plus efficace pour vous reconnecter à vous-même. Et merci de partager avec nous cette enrichissante aventure.

Je vous souhaite un bon « retour à la civilisation » et de plus grandes réussites dans vos projets personnels et professionnels.

C’est vraiment très gentil de votre part. Merci de m’avoir lue et j’espère que vous pourriez vivre cette expérience vous aussi.

Go sis, go. I’m rooting for you. C’est très inspirant de savoir que c’est possible de se déconnecter et faire des trucs plus important, sans que le monde ne s’effondre.

Merci beaucoup pour cet article. De nous partager cette si belle expérience. Votre plume est incroyable et j’espère un jour vivre une expérience pareille ✨

En attendant l’expérience, le partage d’expérience nous donne un bien bel aperçu et des astuces pour en tirer des leçons utiles. S’estimer capable et maitriser assez son esprit pour s’oublier et traverser intelligemment et tranquillement les bonheurs et les adversités de la vie. Car, rien n’est constant et essentiellement tout est éphémère. Tout finit par finir.
En attendant soyons tous heureux.

Merci pour ton beau retour d’expérience et bon retour dans la civilisation mieux rodée que jamais !!🔥👊🏿

Je suis super contente pour toi et que tu aies pu vivre une telle expérience. Welcome back sur ce blog que je découvre par la même occasion.

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